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L'histoire du lycée de la Sauque : Les origines

Pendant l’hiver 1942-1943, la colonie de vacances des Coqs Rouges de Brameloup, à La Teste, est réquisitionnée par l’occupant. Les responsables cherchent un local de remplacement car la colonie de vacances doit continuer à fonctionner. L’Abbé de Traversav trouve à La Brède le domaine de la Sauque, inoccupé depuis le décès de son propriétaire, Arthur de Richemont. Pendant la guerre, le domaine avait accueilli des personnes agées réfugiées de Nancy. Le 2 février 1943, deux responsables des Coqs Rouges, l’abbé de Traversay et Joseph Gramont, visitent les lieux. Le domaine est loué. Paul Coussau aménage à l’extérieur un sanitaire en planches. La galerie du château, alors vitrée (« galerie des glaces ! ») sera utilisée comme réfectoire.

La colonie fonctionne durant les vacances de Pâques, puis pendant l’été. En août 1943, les autorités demandent que les enfants soient gardés à La Sauque, en raison des risques de bombardement sur Bordeaux. La Sauque devient donc le 18 octobre 1943 « Centre Scolaire de Repliement », avec 25 élèves. Deux « Coqs Rouges », André Bord et Georges Lejeunes, instituteurs publics, sont détachés à La Sauque, aidés par d’autres, dont Louis Anceau. En juin 1944, on compte 150 élèves. L’été 1944, La Sauque accueille à nouveau la colonie qui fonctionnera jusqu’en 1983, sous la responsabilité de Mlle Tremel, M. Bernard Saudout, Mlle Michon, M. Jean-Louis Faure et Jean-Pierre Ducournau.

L’Abbe Guilgault, directeur des Coqs Rouges, avait vu dans la fondation de cette école originale un dessein de la Providence pour étendre l’oeuvre éducative du Patronage. A sa mort, le 3 mars 1945, son oeuvre sera poursuivie par l’Abbé Soncarrieu (disparu en 1953) puis par l’abbé Georges Lavergne.

Entre temps, la propriété a été achetée le 8 janvier 1945 par le CCVBSO (Comité des Colonies de Vacances de Bordeaux et du Sud-ouest), branche des Coqs Ronges. Cet achat fut rendu possible par des dons que l’abbé Guilgault recueillit, par un prêt de la famille de Traversav, ainsi qu’un prêt de l’Archevêché. C’est au cours de l’année 1945 qu’arrivent à la Sauque Gérard Caussé, Robert Lantié, Bernard Saudout et Mlle Tremel.

Nul dans le diocèse ne sera surpris que nous rendions ici un bref hommage â Mr l’Abbe Guilgault, si brusquement rappelé à Dieu dans la nuit du 3 au 4 mars ; car nul n’ignore l’action sacerdotale profonde et étendue que cet excellent prêtre a exercée sur une partie de la jeunesse bordelaise.

La messe d’obsèques avec des centaines de communions ; les prières collectives qui, sans interruption pendant trois jours et trois nuits, ont été récitées autour de son cercueil ; la foule émue qui accompagna le corps au cimetière sont des preuves d’affection qui ne trompent pas. Combien de jeunes foyers et de jeunes gens en effet lui doivent d’avoir conservé ou recouvré une foi vivante !

Combien de vocations diverses ont trouvé auprès de lui le correctif ou l’affermissement nécessaire ! Dieu seul le sait ! Le cher Abbé avait vraiment fait don total de lui-même au Christ et aux âmes. Il était « un homme mangé », selon l’expression du Père Chevrier, avec lequel il avait plus d’un trait de ressemblance.

L’esprit apostolique l’avait toujours animé ; mais retenu par des obligations familiales, il n’était entré au Grand Séminaire qu’après la guerre ; il ne fut prêtre qu’à l’âge de 39 ans. La Providence l’a ainsi longuement préparé aux vingt ans de fécond ministère qu’elle lui destinait. Connaissant bien les préoccupations des jeunes, surtout des jeunes du milieu populaire, sa pensée fut toujours orientée vers un enseignement religieux, approfondi et adapté â leurs besoins. Les nombreux cercles d’études qu’il présidait chaque semaine, les retraites et récollections qu’il dirigeait sans cesse ; les entretiens particuliers innombrables qu’il avait quotidiennement, le maintenaient en contact avec les soucis d’ordre intellectuel et moral de la jeunesse.

Sa culture générale, toujours entretenue, sa méditation approfondie de l’Evangile et de Saint Paul, ses connaissances scientifiques et philosophiques répondant aux inquiétudes contemporaines, lui permettaient de tenir des réunions originales et captivantes.

 

Pâques 1943 – Brameloup est occupé par l’Organisation Todt. Pourtant, les « Colos » sont si vivantes, si riches de grâces qu’il faut faire l’impossible pour trouver des locaux. La providence nous indique : La Sauque.

C’est un domaine de 56 hectares, situé à l’angle des routes de Langon et de La Brède, sur l’ancienne voie romaine.

Son château est un peu délabré, mais le parc « à l’anglaise », ombragé de sapinettes centenaires, sera vite transformé en terrains de foot, de basket, de volley. D’ailleurs, d’autres possibilités sont offertes : cultures, grands jeux dans le bois, à la belle saison baignades dans le « Saucats » voisin. Le premier champ de pommes de terre est ensemencé en prévision de la grande Colo.

En cet été 1943, le château s’avère bien petit. Les dépendances et deux tentes sont utilisées, cependant qu’au bourg de La Brède, à 2 km. 300, la Section des Petits partage avec les Patros amis d’Arlac et de Chantecler, les locaux de « la Joyeuse » et des écoles. Nous explorons le pays : Aiguemortes, le pont de Beautiran, le « châlet des Pins » et le château de Montesquieu, puis le vivier de Martillac, St-Morillon, St-Magne et ses lagunes avec un « tacot » aussi poussif que celui de Cazaux.

Au cours de cette colo, Notre-Dame de Boulogne escortée par les Coqs de Beautiran à Bordeaux, passe par notre domaine, s’y arrête et nous bénit.

Mais les dangers de la grande ville : bombardements, mauvais ravitaillement, s’accentuent. Une circulaire ministérielle, appuyée d’une lettre préfectorale, nous demande de garder les enfants pendant l’année scolaire. Par un concours de circonstances qu’il faut noter, plusieurs jeunes gens possédant les titres universitaires d’enseignement trouvent à La Sauque un refuge contre le S.T.O. Notre colonie devient Centre Scolaire de Repliement officiel, dépendant du ministère de l’intérieur.

Le contentement de chacun, particulièrement des parents, amène rapidement de nombreuses demandes. La place manquant, nous sommes contraints d’en refuser beaucoup.

Grande Colo 1944 – C’est seulement aux beaux jours et les dangers se faisant plus menaçants à Bordeaux, qu’on peut accueillir un plus grand nombre de jeunes. Chantecler et Arlac sont toujours nos voisins, mais cette fois à Ayguemortes, au château St-Jérôme. Clo-Clo Bolzec visite régulièrement les petits en placements familiaux dans le Lot-et-Garonne.

Les faits notables de cette époque sont marqués par la brutalité de la « botte allemande ».

Quelques jours avant leur massacre, les « martyrs de Saucats » viennent se ravitailler chez nous. Certains nous connaissent bien : Sabaté Roger, Anere Lucien, Dietlin Dany. Le 14 juillet au matin, nous entendons le canon qui leur est fatal.

25 Août – Depuis quatre jours, notre aîné Paul Coussau est parti chercher des vivres à Clairac (Lot-et-Garonne). Nous sommes inquiets car on s’est battu dans les environs. En ce jour de la Saint Louis, les premiers éléments du maquis défilent sur la route à la recherche des Allemands qui ont fui vers Bordeaux. Le matin, comme nous avons l’habitude de le faire les jours de fête, nous hissons les couleurs. L’abbé Guilgault fait dire au moniteur hésitant : « Nous reconnaîtrons la puissance de la Sainte Vierge à ce que nous aurons des nouvelles de Paul Coussau aujourd’hui ».

Hélas, la journée s’écoule sans apporter aucune indication. Le soir, au crépuscule, un enfant pousse un cri : « Voila Coussau ! ». Et en effet, après maintes péripéties, le « gazo », surmonté du drapeau tricolore de rigueur, entre par l’allée des marronniers ramenant un Coussau harassé et mal rasé, mais sain et sauf, avec, entre autres choses… deux cents kilos de pain blanc dont beaucoup ont perdu le souvenir. Avec quelle ardeur nous lançons « la Marseillaise » à la descente des couleurs ! Avec quelle foi nous disons un « Ave » de reconnaissance à la maman !

La cessation des hostilités suit la libération. En 1945, Brameloup rouvre ses portes, le centre de repliement disparaît. D’ailleurs, les élèves ont grandi – La Sauque devient cours secondaire.

La Mort du Père

3 Mars 1945 – Date inoubliable ! Les Coqs voyaient leur père pour la dernière fois.

Depuis longtemps, sa santé faiblissait, ses forces baissaient. Gazé de la guerre 1914-1918, il vivait avec un seul poumon ; le cœur était atteint. La dernière année fut un miracle de Dieu, la tension artérielle variant entre 27 et 29. A une heure où son corps défaillait, où il aurait pu aspirer à un repos mérité, son amour pour Jésus le poussait au contraire à aller de l’avant.

Le 26 Février, sa dernière semaine commence. Il passe les premiers jours à La Brède, il revient à Bordeaux le mercredi, très fatigué. Il reprend ses activités auprès de ses fils comme si rien n’était. Du mercredi au samedi, réunions et récollections vont se succéder au rythme habituel. Le vendredi soir, il a un cercle des Grands. Le samedi matin, il dit la messe à la paroisse en souvenir de Guy Dumail, un Coq mort pendant la guerre… Il a beaucoup de peine à achever l’office, et c’est tout juste s’il peut prononcer l’absoute.

La journée continue, épuisante, ses fils se succèdent à son bureau, comme d’habitude, soit pour leur direction spirituelle, soit pour des confessions, et c’est à peine si l’abbé Maussion, de l’Union des Œuvres, à le temps d’obtenir de lui quelques mots dans l’entrebâillement de la porte de son bureau. « Nous nous verrons dimanche matin, nous aurons plus de temps ». Le soir arrive, la journée s’achève, le Père a confessé les « Joyeux-Unis » en récollection jusqu’aux environs de 20 h. 15. Maintenant, il se rend péniblement à la maison, pour prendre son dernier et bien maigre repas ; il se sent tellement oppressé qu’il n’a pas la force de manger.

D’ailleurs, ce soir là, il ne dirigera pas la récollection lui-même aux Moyens. Il veut réserver ses quelques forces pour le lendemain dimanche, il veut tenir jusqu’au bout… C’est pour cette raison qu’il demande à l’abbé Maussion, qui a participé familièrement au repas des « Joyeux-Unis », de leur parler à sa place.

– Bien sûr ! Quel genre !

– Préparation pascale.

– Bon.

– Vous me rendrez bien service parce que…

Il n’achève pas et part aussitôt, détournant son regard de celui d’un de ses fils anxieux. Mais tout le monde à compris. L’abbé est à bout. Il rejoint sa chambre au presbytère. Nous ne devions plus le revoir vivant.

4 Mars 1945, minuit et demi. Réveillé, Mme Lataste, sœur de M. le Curé, entend du bruit au dessus de sa chambre. Quelqu’un souffre, râle, va ouvrir la fenêtre… Puis, épuisé sans doute par cet effort, retombe lourdement sur son lit… L’abbé Guilgault, c’est l’abbé Guilgault qui se trouve mal. Immédiatement, Mme Lataste prévient son frère. Celui-ci se précipite dans la chambre d’un mourrant. L’abbé Guilgault ne le reconnaît pas et ne reprendra pas connaissance.

Bouleversé, M. le Curé appelle son vicaire, l’abbé Dousset, et l’envoie chercher d’urgence un médecin à l’Hôpital St-André. Pendant ce temps, il va donner lui-même l’Extrême-Onction au cher moribond ; mais à peine a-t-il le temps de prononcer les dernières formules, et la mort a fait son œuvre.

L’interne arrive ! Trop tard ! Il diagnostique un œdème pulmonaire. Dix minutes plus tôt, on aurait peut-être pu enrayer le mal… Il repart.

On va prévenir Mlle Guilgault, sa sœur, ses fils de la rue du Commandant-Arnould et quelques intimes.

Oh ! La douleur de tous ceux qui l’ont tant aimé et qui sentent maintenant tout ce que le Bon Dieu leur a enlevé. Douleur, oui, certes, mais prière aussi. Tous prient, le prient, autour de son lit de mort.

Le lendemain, à 6 h. ½, la première messe du Patro est célébrée pour le Père. Puis, à leur arrivée, les Coqs apprennent avec consternation la mort de leur « papa », ainsi que quelques uns aimaient à le nommer. Ah ! Combien dans cet instant comprendront ce qu’ils lui doivent ; combien se repentiront, sans doute…, mais tous, ceux de Bordeaux, et les autres, accourus de toute la France, défileront pendant trois jours et trois nuits dans son bureau, auprès de son corps, j’allais presque écrire de ses reliques, puisque certains découpèrent sa soutane, d’autres allèrent jusqu’à lui prélever des cheveux… Hommes, femmes, prêtres, religieux, religieuses, laïcs, jeunes gens, jeunes filles, sont venus en foule pleurer, prier, remercier souvent pour des grâces intimes… Mgr l’Archevêque viendra, lui aussi se pencher avec douleur sur la dépouille de son fils.

Puis, ce sont les obsèques, le mercredi. Dès le matin, les Coqs se pressent dans la cour du Patro, trop petite pour cette foule que l’église suffira à peine à contenir. De nombreux prêtres sont là, parmi lesquels l’abbé Laneau, dont la douleur est visible. Tous ses enfants, fidèles ou égarés, sauf les chers prisonniers, sont présents dans l’église, associant leur prière à la prière de celui qu’ils espèrent auprès de Dieu. Innombrables communion. Triomphale cérémonie qui montrait bien tout ce que sa sainteté avait su conquérir d’âmes.

Triomphal également, le cortège que accompagne le corps à sa dernière demeure. Chapelet en main, le long défilé prie avec force, émotion et reconnaissance. Le père est ainsi accompagné jusqu’au cimetière, sous les yeux étonnés des bordelais.

Le Père sur sa couche funèbre.

Selon les désirs du défunt, le corps est déposé au tombeau des prêtres. Puis après une dernière prière, tous vont partir, s’arrachant péniblement à cet ultime contact. Mais en tous, le sentiment dominant est que, du haut du ciel, l’abbé Pierre Guilgault est toujours agissant au milieu de ses fils. Qu’il obtienne pour la fidélité à son esprit !

André BETTEMBOURG.

Aucun d’entre nous n’avait, je crois, une vocation de paysan, mais La Sauque s’étendait sur plus de 50 hectares dont une vingtaine en terres de labours, en friches, prairies et vignes; le reste en foret. 1943-44 : la guerre, l’occupation allemande, la disette. Il eût été maladroit et coupable de laisser inutilisés ces précieux hectares. Nous nous convertîmes donc en terriens. Paul Coussau se procura un tracteur, véritable pièce de musée sur lequel fut monté un gazogène.

C’est avec cet engin que furent défrichées une à une les pièces de terre aussitôt ensemencées. Les récoltes, assez chiches, il est vrai, allongeaient le menu des enfants. Le potager était agrandi, muni d’un système d’arrosage, les bois exploités.

En plus du ménage des métayers : Robert Laffargue, sa femme Paula et sa belle-mère Blanche Caussat, une équipe se constituait, assez mouvante mais pleine d’ardeur : Paul Coussau, Bernard Saudout, Joseph Gramont, les trois frères Fabre, les frères Roy, René Faugeras qui dirigeait un groupe de prisonniers allemands dont la main-d’oeuvre était diversement appréciée. Gérard Causse, Robert Lantié et une trentaine d’autres garçons dont le séjour fut de plus ou moins longue durée.

Une section de formation agricole se constituait où les aînés enseignaient aux plus jeunes les sciences agricoles sous le contrôle du C.E.R.C.A. d’Angers.

Peu à peu, le matériel se modernisait. Un puissant tracteur John Deere était acquis grâce à un prêt de la famille de Traversay: un bras de coupe de 2 m 10 y était adapté. On acheta une moisonneuse-lieuse, un semoir à maïs. Avec le retour des engrais, les rendements s’améliorèrent sensiblement. On cultivait le blé, l’avoine sur 4 ou 5 hectares, des betteraves, du maïs, du sorgho, plantes sarclées qui demandaient une main-d’oeuvre abondante.

Le bétail comportait une douzaine de vaches laitières, et dix à vingt porcs. Un essai avait été tenté avec des moutons.

La basse-cour s’équipait pour accueillir sept à huit cents pondeuses et deux cents canards.

Le vignoble s’enrichissait de nouvelles plantations et donnait jusqu’à cent vingt barriques de vin courant.

Tous les produits étaient consommés sur place par les élèves et les travailleurs; l’été, les excédents partaient à la Colonie de La Teste; les surplus et grosses récoltes étaient seuls commercialisés.

 

Des impressions sont fixées à tout jamais dans ma mémoire, liées par cette tendresse nostalgique des réminiscences de l’enfance. Nous arrivions le lundi matin dans l’autocar « Robert » qui nous laissait à l’entrée de la longue allée. Après avoir posé nos bagages, nous allions aussitôt en récréation… excellent prélude à la semaine qui commençait.

Nous vivions d’une manière fruste : pas de chauffage central, du moins dans les premières années; des classes de latin organisées dans le petit réfectoire ou dans la salle de vestiaire des douches; l’alimentation transportée entre la cuisine et le réfectoire par un système dit « le corbillard » consistant en un double plateau et des brancards; les plats d’oeufs frits ou de riz au lait étaient tellement solidifiés que nous pouvions les retourner sans crainte. Et pourtant nous aimions ce style de vie rugueux en dépit des contraintes auxquelles nous étions soumis. Les services que nous assumions, le balayage, le transport du « corbillard », le nettoyage des tables du réfectoire nous paraissaient naturels.

En 1952, ma première année d’une période de six ans, nous étions une centaine. Autant dire que nous nous connaissions à peu près tous dans la solidarité forte du pensionnat. Nous avions avec nos enseignants des relations amicales qui n’excluaient pas le respect. Le tutoiement vis à vis de beaucoup d’entre eux -à l’exception toutefois du directeur, Monsieur Bord- était une règle qui semblait être une survivance des colonies de vacances.

La Sauque était pour moi une colonie de vacances studieuse. Les longs matches de football du jeudi nous mettaient aux prises avec des professeurs auréolés d’un prestige mythique sur le terrain. Robert Lantié était notre idole. Il jouait en équipe première des Coqs Rouges. Les « séances » du vendredi soir étaient- en ces temps d’absence de télévision- des soirées mémorables dans lesquelles excellaient Jo Causse et Jacques Labrosse. Les histoires racontées le soir dans la pénombre des dortoirs nous terrifiaient ou nous passionnaient. Georges Lejeunes, géant au grand coeur, y multipliait ses talents de conteur.

La messe libre le matin, la prière du soir dans la chapelle ont été pour beaucoup un enracinement dans la Foi. La bonté et l’autorité souriante de l’Abbé de Traversay nous ont également beaucoup marqués.

Je veux rendre hommage au patient dévouement de nos professeurs; au-delà de leur savoir, ils donnaient tant d’eux-mêmes… Je dois à Monsieur Bord ma passion pour la littérature. Il avait le don de nous introduire dans la connaissance des grands auteurs : Corneille, Molière, Racine et Pascal, génie lumineux. J’ai une immense reconnaissance vis-à-vis de tous ceux qui nous ont ainsi aidés à trouver en nous-mêmes l’essentiel de nos aspirations futures.

Au terme de mon passage à La Sauque, nous étions 7 en classe de première. Plus tard, deux d’entre nous, Max Fontaine et Dominique Legrix de la Salle furent prêtres. Quel souvenir que cette classe si réduite ! Monsieur Gaston Duthuron notre professeur d’histoire prenait à témoin Dominique des misères paysannes sous la Révolution. Avec des moyens rudimentaires, les expériences de chimie se déroulaient dans la classe à doses homéopathiques !

La Sauque, au fond de ma mémoire, est associée au meilleur de moi-même : cette part d’enfance unie à la petite fille Espérance qui nous tient la main sur nos routes d’hommes.

Francis Boissarie

Ah ! La Sauque ! C’est tout autre chose. Comment n’aurais-je pas été surpris ? Je venais de quitter une caserne de ciment et de verre où grouillent tant d’élèves qu’ils sont obligés de rester immobiles en récréation. Et me voici en pleine nature : ces vertes pelouses, ces arbres magnifiques, ce charmant château vieillot. Et dispersés dans le vaste domaine, des garçons heureux de vivre.

Le régime libéral de l’établissement a quelque peu bousculé mes idées en matière d’éducation. Je n’en ai vu d’abord que le côté pittoresque : cette liberté d’évolution, cette camaraderie qui agglutine les élèves autour d’un maître, cette absence de complexe devant l’autorité. (On ne dit pas Monsieur le Directeur, on dit Monsieur Bord pour bien montrer que l’on n’a pas affaire à une entité solennelle et abstraite mais à un homme digne de confiance).

Je me disais : « Les choses étant ce qu’elles sont, qu’est-ce que ça peut donner aux examens ? » Je ne savais pas encore que le palmarès de La Sauque pouvait rivaliser avec celui des meilleurs lycées. En somme, il y a ici une hiérarchie des valeurs qui sacrifie à la formation religieuse, intellectuelle et morale, les détails matériels, les signes extérieurs du respect, de l’ordre et de la sacro-sainte discipline.

La bienveillance de l’administration a remplacé la traditionnelle sonnerie criarde des entrées en classe par un appareil original (il s’agissait d’un klaxon). Il émet un grognement discret dont les ondes expirent auprès des murs. Lorsque, à 17 heures, le signal de la fin de récréation est donné, aucun des élèves dispersés sur les lointaines pelouses ne peut l’entendre. Par quel miracle d’ultra-sons comprennent-ils ? Je l’ignore. Mais ils comprennent. Un mouvement général de repli se dessine. Le gros de la troupe, poussant le ballon du pied, est déjà passé dans la cour d’honneur. Il ne reste que quelques groupes qui traînent, avec des arrêts pour épuiser la discussion.

Et quand, les ayant tous vus passer, je me sens l’esprit enfin tranquille, j’en aperçois deux, trois, venus des extrêmes limites du domaine. Ils ne vont pas jusqu’à courir puisqu’ils ont la conscience pure. Ils prennent même le temps de boire un petit coup au robinet, et enfin ils s’élancent, le museau humide.

Cette classe de Math-Elem, que j’ai vue naître, que j’ai presque tenue sur les fonts baptismaux de la pédagogie, est bien sympathique. Nous avons commencé avec quatre élèves d’esprit curieux et même avide. Nous étions dans une ancienne cuisine, avec une vaste cheminée désaffectée, deux grandes fenêtres s’ouvrant sur les beaux arbres. Je n’ai pas oublié mes quatre mousquetaires. Ils ont contribué à me faire aimer La Sauque. Depuis, le nombre des élèves a quadruplé mais la classe conserve un air d’intimité fort agréable. Les cours se suivent sans histoire, je veux dire sans histoire fâcheuse. L’esprit de libre discussion ne se manifeste pas chez nous. Il ne ferait guère avancer la thermodynamique. S’il m’est arrivé d’avoir un ou deux élèves qui eussent volontiers fait des objections de conscience sur la formule du pendule ou l’effet Döppler, il suffisait de leur donner la parole au tableau pour les ramener à l’orthodoxie.

Robert Duprat,
Professeur honoraire de l’enseignement public

C’est bien intentionnellement que j’écris « Notre-Dame-de-La-Sauque »… une façon de manifester une fidélité et de résister aux insidieux assauts de la laïcité totalitaire…

Aurions-nous honte de notre si lumineuse foi ?… ou sommes-nous capables (j’allais écrire « coupables ») de la « mettre en veilleuse » pour ne pas attirer les mauvaises grâces des pouvoirs publics dispensateurs de toutes subventions ?

Passons !… Comme la Sauque, je suis né en 1943… à trois kilomètres de ses grands cèdres…

Après deux années à l’école communale de Saint Médard d’Eyrans, j’arrivai un matin du début octobre 1952, à 9 ans, dans la « cour d’honneur » de La Sauque, pour rentrer en 7ème.

Maman, sans doute aussi émue que moi, et qui m’avait transporté sur le porte-bagages de son vélo, hésitait à abandonner à son sort nouveau de pensionnaire un si tendre cœur. Ce débat intérieur, et peut-être, le spectacle de mes yeux embués, n’échappèrent pas à Jacques Labrosse, qui, à peine faites les présentations, m’entraîna dans une partie de « tique »… pour laquelle il me « prêta » un premier capital de 4 billes (en terre)… quelques minutes plus tard, j’avais la poche gauche gonflée de billes, le « prêt » était remboursé, et j’étais le plus fier des gamins : mon destin me paraissait « bien en mains ».

Peu après, réunis dans la chapelle pour confier cette année débutante à la protection de Notre-Dame-de-La-Sauque (Très Sainte-Mère, nos cœurs sont à vous… ») nous faisions connaissance de ce génie intuitif qu’était l’Abbé de Traversay.

Tout ce qu’il disait était fort et vrai, senti_ direct, simple et percutant : tout ce que les enfants reçoivent 5 sur 5.

Le florilège des figures d’exception n’allait pas s’arrêter là… en y repensant aujourd’hui, je me pince pour me persuader que je n’ai pas rêvé… quelles figures ! Ramon de Iturralde, André Bord, directeur et professeur de français, de latin et de philo Jacques Lantié, économe, son frère Robert prof de gym et Ministre des Affaires Culturelles, Georges Lejeunes, colosse débonnaire, Jo Causse, maître de chorale. Claude Giltay, prof d’anglais, « Mémé’ Delbos… voilà le « noyau dur » dont je me souviens… comme si c’était hier.

Je réalise aujourd’hui : quelle générosité il a fallu à ces jeunes-hommes pour se donner sans réserve à cet idéal éducatif… à cœur perdu… et 24 heures sur 24 !

Le tutoiement bilatéral était de règle…sauf à l’égard de « Monsieur Bord » investi de l’autorité suprême… ultime tribunal disciplinaire. Mais, avec tous les autres, les rapports étaient ceux de grands à petits frères : « Ramon, tu joues à la pelote » (ah ! quel râleur I) – « Jacques (Labrosse), raconte-nous une histoire des Dupont en caleçons roses »… ce génie inventif de Jacques Labrosse, ces expressions : « jambe d’oeuf », « fesse d’huître », « pierra de hueno », le « pimbe » (pour la figure), « je vais t’expliquer le mécanisme de la sécurité sociale » !!!

Une anecdote, en passant : un jour de Carême, dans le réfectoire entièrement décoré de dessins désopilants réalisés de main de maitre par Jacques Labrosse, « tripes à la mode de Caen »…! Plutôt mourir que manger des tripes… mais c’est Carême et rien ne résiste à l’oeil encourageant de Jacques Labrosse « grand frère » qui préside la tablée de 8 ou 10… j’en prends donc et j’en reprends… ça a du mal à passer… je verdis un peu… puis, arrive la récré ; encore un peu barbouillé, je joue au « bertolle », (sorte de jeu de cricket qui se joue avec 2 morceaux de manche à balai, un long, que l’on tient comme une batte, et l’autre, petit, que l’on doit projeter en l’air, puis frapper très fort pour l’envoyer le plus loin possible), avec Jacques Labrosse, chef de jeu ; l’après-midi, je digère péniblement pendant le cours de dessin de … J. Labrosse qui, à la chapelle, nous invite à chanter : « Avant d’aller dormir sous les étoiles ».

Enfin dans le dortoir, arrive le moment tant attendu de l’histoire à épisodes…entre rire et curiosité passionnée…pas de place pour le cafard nostalgique. Rien que pour son talent de conteur, Jacques Labrosse mériterait une statue au milieu de la cour d’honneur !… et cet art de s’arrêter au bon moment ! et puis, à 2 heures du matin…décidément, ces tripes qui ne veulent pas passer… je me lève en titubant et vais secouer l’épaule de mon voisin… encore Jacques Labrosse… qui n’a pas le temps de comprendre ce qui arrive… déjà j’ai restitué sur son lit ce déjeuner vraiment trop indigeste… Pas un juron !… pas un reproche… pas un mot blessant… seulement des mots et des gestes de consolation, de soins et d’apaisement… voilà ce qu’un cœur de 10 ans n’oublie jamais ! A évoquer ces souvenirs, tant de choses se bousculent pèle-mêle qu’il n’est pas possible de raconter : les grands jeux dans la forêt, les cours d’été en plein-air, les « services » de couvert, ménage, vaisselle, les parties de traîneaux sur les ruisseaux gelés, ou la boue de printemps, la pelote, le bertolle, le foot, les concours de pipi en hauteur contre le mur des cabinets,… la « loupe » de terre glaise, juste à côté des mêmes cabinets, ces émouvantes prières du soir, surtout après la longue récréation d’après-diner des soirs d’été… le « Salve Regina » avant de se quitter, le samedi… tant de souvenirs radieux… jusqu’à ce jour d’octobre 1955. Je jouais au bertolle dans l’allée des Charmes, à la récréation d’après déjeuner,… et « Adèle », (André Bord) m’appelle… un ami de la famille est là… qui me dit : « il faut être courageux… ton papa est mort, hier, d’un accident » ; il m’entraîne à la chapelle… cela je l’ai aussi offert à Notre-Dame-de-LaSauque… c’était bien trop lourd pour mes épaules de 12 ans.

Là s’est terminée mon enfance insouciante. Mais ce que j’ai reçu de chacun de ces merveilleux entraîneurs d’âmes, jamais je ne l’ai oublié : aujourd’hui encore, cela participe quotidiennement de ma façon d’être, df vivre, de sentir, d’être fidèle. Cinquante an: après, La Sauque parodiant Jean Paul II peu se demander : « Qu’ai-je fait de mon baptême ? »… « Comment rester fidèle à ma vocation unique ? »… et attendre la réponse de la Très-Sainte-Mère… très attentivement.

Merci à La Sauque, merci à tous ceux qu ont tant donné.., merci….

Pierre de Sèze.